31 juillet 2009

Chose vue 8 : abribus

Budapest, sur la ligne du 128, hier soir, vers 23h.

Il y a un clochard qui s'est installé depuis très longtemps sous l'abribus d'un des arrêts du 128. Le matin, en partant tôt, on le voit encore dormir, allongé sur les sièges de métal grillagé. Tous les soirs, il revient se coucher. Été comme hiver.

Il ne correspond pas à l'idée qu'on se fait habituellement d'un clochard. Certes ses vêtements sont rapiécés, son sac à dos a été recousu cent fois et n'a presque plus de fibres d'origine et ses chaussures se sont transformées de baskets en nu-pieds par l'effet de l'usure. En dehors de ça, il est relativement jeune, bien coiffé, rasé de frais.

Ce soir-là, à la nuit tombée, étendu sur ses sièges, le torse légèrement relevé pour bénéficier de la lumière du panneau publicitaire, l'homme lisait, paisible.

29 juillet 2009

HP6


J'ai vu Harry Potter et le Prince de sang-mêlé hier soir au cinéma. Comme je sens que tu brûles d'envie de connaître mon avis, je te le donne bien gracieusement.

Déjà, je dois te dire que le film est sorti seulement la semaine dernière en Hongrie. En outre, il nous a fallu trouver l'unique (je dis bien l'unique) salle qui diffusait l'œuvre en version originale (avec des sous-titres en hongrois qui ne m'ont pas été d'un grand secours). Bref, voilà qui explique mon retard à l'allumage.

Commençons par ce qui est réussi. La réalisation est soignée, esthétique, habile. De nombreuses fois, on joue sur les différents plans pour donner plus de profondeur à l'image, notamment dans les passages avec Malefoy qui est en plein tourment. Le réalisateur parvient à exprimer la détresse du personnage sans passer par des dialogues lourdingues.

Les scènes de comédie sont ce qu'il y de plus intéressant. Elles sont vives, précises, drôles et bien jouées (à la différence, selon moi, du 4e film). Il convient de noter que les acteurs sont tous excellents et qu'ils sont, à mon avis, au sommet de leur interprétation des personnages. Chacun cherche sa chacune et ça virevolte. Le repas chez Slughorn est le meilleur moment puisque l'on comprend les sentiments et le caractère de chaque personnage parfois en l'espace d'un seul plan.

Dernier point : les effets spéciaux sont très réussis et très beaux. J'aime particulièrement ceux de la pensive qui font penser à de l'encre tombant au fond d'un aquarium. Mais toute la partie de la grotte est également magnifique avec la mer, le lac des morts et le tourbillon de feu.

Le problème réside en fait dans le rythme du film. Il n'y a pas de réelle montée en puissance au cours du scénario et la fin tombe du coup un peu à plat parce qu'on en voudrait encore. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais cela ressemble un peu au deuxième film de la série qui souffrait du même défaut : il tue le serpent et après ? Toute la fin est d'ailleurs trop rapide : la vivacité qui faisait la force des scènes de comédie se retourne contre les scènes de pathos où l'émotion n'a pas le temps de s'installer. Ainsi la mort de *** (au cas où quelqu'un ne connaîtrait pas encore l'histoire) est expédiée. Au niveau de l'action pure, on sent que le scénariste a été obligé de rajouter une scène de baston, qui n'existe pas dans le roman, au milieu du film pour réveiller le spectateur somnolent (dont je ne suis pas, je te rassure).

L'adaptation de ce pavé a eu pour effet de retrancher un grand nombre d'éléments, mais c'est la loi de l'exercice. Ici, cela donne parfois des effets étranges. En élaguant l'histoire, on a enlevé tout un tas de personnages secondaires : exit les Dursley, exit Voldemort. Les autres ne sont que des ombres (McGonagall, Hagrid...). Les seuls qui ont droit à quelques scènes, ce sont Luna et Neville, mais ils sont déjà des marginaux. En fait, les personnages sont présentés dans une grande solitude. On n'a plus de scène de groupe ou presque et, dans ce cas, les personnages principaux s'en détachent (voir l'arrivée de Malefoy dans le réfectoire en arrière-plan). On n'assiste à presque aucun cours et les effectifs sont réduits. Même les bancs du stade de Quidditch sont clairsemés. Les trois héros n'agissent plus vraiment en trio.

C'est un peu le début de la fin.


28 juillet 2009

Chose vue 7 : la Trabi

Budapest, dimanche dernier, vers 20h, en bas de chez moi.

Une voiture couleur crème pétarade et se gare en bas de l'immeuble.

Les Trabant, ce sont des voitures anciennement fabriquées en Allemagne de l'Est. Elles sont petites, arborent une carrosserie en plastique et sont reconnaissables de loin au bruit de leur moteur deux temps qui ressemble à celui des mobylettes. Les Hongrois en ont gardé quelques-unes par nostalgie, et puis parce que c'est solide et que ça se répare facilement.

Donc une Trabi s'arrête sous nos fenêtres. Un jeune homme aux allures d'étudiant en sort, avec un énorme sac noir en bandoulière et une bouteille de coca.

C'était le livreur de pizza.

27 juillet 2009

Sombre jour


"Pleurez, doux alcyons ! Faites taire le vent et son murmure joyeux, faites taire la rumeur de la mer, car il n'est plus !

"Entre ici, Nicolas, notre patrie reconnaissante t'ouvre ses bras.

"Après Druon le poète, après Jackson le ménestrel, la Mort cruelle vient de frapper une troisième fois.
Elle s'est attaquée à un mage, un penseur, un visionnaire, frappé en pleine course vers un avenir radieux.

"Ah, qui dira les torts de la Mort ? Aveugle et sans pitié, elle a retranché ce que nous avions de plus cher, nous a privé de nous-mêmes.

"Car ce n'est pas seulement un immense président dont la petitesse n'avait d'égale que sa grandeur, ce n'est pas simplement un réformateur du tac au tac que nous avons perdu, un bretteur contre les forces obscures de l'immobilisme, un explorateur appliqué des voies impénétrables du progrès, non !

"En te perdant, Nicolas, nous avons perdu la Fr..."


Ah, on me signale qu'en fait, il n'est pas vraiment mort. Je me suis laissé emporter, je crois. Mais quand on veut être le premier à relayer l'information... Bon, ben, euh... Laisse tomber (t'aurais pu me le dire plus tôt, de quoi j'ai l'air maintenant ?)

Image : source Wikipedia, Hervé Seignole

24 juillet 2009

Chose vue 6 : accroché aux branches

Hier après-midi, sur les collines de Buda, en bas de chez moi.

Trois ouvriers avec des têtes à effrayer le bon bourgeois préparent leurs outils en parlant fort. Ils portent leurs habits de travail, sales, poussiéreux, maculés de traces de peinture. Une fois leur matériel chargé, ils s'avancent vers l'escalier qui passe sous les arbres.

Et là, il s'arrêtent net, soudain silencieux. L'un d'eux désigne quelque chose dans les frondaisons. Les autres se rapprochent, et les voilà tous trois, épaule contre épaule, le nez levé, à se tordre le cou pour apercevoir ce que leur camarade montre du doigt.

On les voit qui se marrent comme des gosses, attendris, observant le petit écureuil qui saute de branche en branche.

23 juillet 2009

Homo Vampiris. Extrait 1/3


Tout en parlant, Nemrod avait commencé à passer ses mains sur le dos de Nina. Il caressa ses omoplates, son cou, redescendit le long de la colonne vertébrale.

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle en réprimant un frisson.

— Je cherche les échardes pour te les enlever. Chez un humain, ça ne poserait pas de gros problèmes, mais nous autres, vampires, sommes très réactifs au bois. J'ai déjà vu des chocs anaphylactiques assez violents. C'est de là que vient la légende du pieu dans le cœur. Selon certains, nous sommes plus ou moins allergiques à la lignine qui est un composant essentiel du bois. En fait, on n'en sait rien.

Nina eut un sursaut.

— Je risque la mort et c'est maintenant que tu reviens ?

— Ce que je te dis concerne surtout les vieux vampires.

Elle se calma et le laissa ôter les épines qui s'étaient plantées dans ses reins.

— Et l'argent ? Ça nous tue aussi ?

— Non, ça, c'est des conneries d'humains en mal de symboles…


Homo Vampiris est un roman à paraître chez Mnémos en novembre 2009.

Image : source Wikipedia, Gray's Anatomy of the Human Body, 1918

22 juillet 2009

Chose vue 5 : la danse de la mariée

Budapest, samedi dernier, au mariage d'amis hongrois.

Il y a une tradition en Hongrie au moment du mariage. Le reste ressemble beaucoup à ce qu'on connaît, mais ce rite est plus original.

Après le repas, après les danses, le maître de cérémonie (dans le cas qui nous occupe, c'était le frère du jeune marié) commence à taper sur un petit chaudron avec une grande cuillère en bois pour rameuter les gens.

On fait ensuite la queue pour danser avec la mariée. Mais attention, il faut payer ! Eh oui, car l'argent récolté dans le chaudron servira à financer le voyage de noces. On voit alors les gens faire la ronde avec la mariée, tout seul, en couple, voire avec les enfants.

17 juillet 2009

Bienvenue chez moi

Je te conseille la lecture de cet article du Monde sur la montée de l'extrême-droite en Hongrie. C'est court, c'est clair et c'est difficile de ne pas souscrire à ces analyses.

12 juillet 2009

Eminence grise


Profitant d'un séjour un France, j'ai fait le plein de livres, disques et films pour tenir face au monde hostile. Parmi mes acquisitions, il y a le dernier album de Cabrel dont on m'avait déjà dit le plus grand bien. J'avais déjà donné à des élèves la chanson "Les cardinaux en costume" à analyser. Je t'en livre maintenant ma version personnelle.

Depuis quelques années, Cabrel prend une stature de grand de la chanson française, un peu comme Souchon. Il semble sortir du sillon sentimental et terroir qu'il creusait jadis et auquel on le cantonnait un peu facilement. Mais cela faisait longtemps qu'il mettait des orties dans ses roses (je sais, elle est facile ; il faut que je me calme sinon je vais me mettre à écrire comme un journaliste culturel ; préviens-moi si c'est déjà le cas).

Sa chanson "Les cardinaux en costume" est le témoignage de cette inspiration piquante (c'était le dernier, j'arrête). La construction en est extrêmement simple : quatre couplets, chacun présentant un problème de société bien connu à travers une saynète réaliste : le sans-abri qui dort près du périphérique parisien, la prostituée qui a un enfant, l'immigré renvoyé dans un pays qu'il n'a jamais connu et la travailleuse dans un atelier clandestin. Un cinquième couplet vient faire le bilan. Quant au refrain, il est en espagnol et l'on n'est pas forcé de le comprendre (moi, j'ai fait allemand LV2, alors j'ai demandé à un collègue compatissant de me traduire).

En examinant les noms des personnages, on se rend compte qu'on fait le tour du monde de l'immigration : Magyd pour l'Afrique du Nord, Mamadou pour l'Afrique noire, N'Guyen pour l'Asie. Comme par hasard, on retrouve les anciennes colonies françaises. Les prénoms sont stéréotypés, on les associe immédiatement à une frange de la population. Le cas de Sabrina est un peu plus complexe puisque ce prénom n'apparaît comme spécifiquement étranger. Il peut évoquer l'Europe de l'est. On ne parle donc pas uniquement des immigrés.

A côté de ces personnages, on trouve les cardinaux en costume qui forment un contrepoint et représentent les nantis. Les oppositions sont de deux types. D'abord, pour les deux personnages masculins, une opposition spatiale. Magyd est associé au dehors et à la lumière des phares, les cardinaux sont à l'intérieur de la voiture dans l'obscurité de leurs vitres teintées. Mamadou est à l'arrière de l'avion quand ils sont à l'avant. D'autre part, les cardinaux sont les clients des personnages féminins et l'échange d'argent est précisé dans le texte ("l'argent qu'elle arrache", "c'est payé au rendement"), ce qui donne une opposition sociale.

Les personnages sont confrontés à une forme de disparition progressive. Magyd est caractérisé par le verbe "dormir" et est désigné par métonymie ("une joue", "une main"). Les articles indéfinis semblent indiquer que ces parties de son corps ne lui appartiennent même plus. Sabrina est déshabillée. Mamadou est "léger comme une plume". N'Guyen est devenue interchangeable et n' a plus d'existence propre ("D'elle on n'a aucune trace", "Celle qui tombe on la remplace"). Son nom est d'ailleurs générique, ce n'est même plus un prénom.

En face, les cardinaux constatent la violence subie par Magyd qui tient un canif pour se protéger, par Mamadou qui est "malheureux". Cependant, ils ne montrent aucune réaction devant ce spectacle ("ça n'a pas l'air d'inquiéter"). Dans le cas de Mamadou, ils sont simplement là, sans verbe, suprêmement indifférents. Ils rajoutent même de la violence en participant à l'économie souterraine de la prostitution et du travail clandestin. Il faut leur arracher l'argent, eux-mêmes se montrent "impatients". Ce sont leurs phares qui viennent perturber le sommeil de Magyd.

Qui sont donc ces cardinaux en costume ? Certes la charge est d'abord anticléricale avec les "donneurs de leçons" et le thème est récurrent dans l'oeuvre de Cabrel. Cependant, et il le dit lui-même sur son site, ce ne sont pas les seuls religieux qui sont visés. Le terme cardinal fait penser à Richelieu et Mazarin qui étaient avant tout des hommes politiques. De même, la mention du costume renvoie aux trois-pièces de nos dirigeants.

Le refrain en espagnol a pour but d'universaliser le propos, tout comme le personnage de Sabrina nous fait sortir du thème unique de l'immigration. En gros, cela dit : "Est-ce de mon pays qu'il s'agit ? Non, c'est impossible". On a ici à la fois une espèce de remarque ironique de l'auteur (bien sûr qu'il s'agit de mon pays) mais aussi la réaction incrédule de la personne qui vient d'écouter la chanson. Le dernier couplet fait le point sur les quatre autres en reprenant les personnages dans l'ordre inverse. Puis, il y a une sorte de mise en abyme où l'on comprend, "quand la salle se rallume", que tout cela était un spectacle, une "séance" de cinéma. Si les cardinaux sont absents, comme on pouvait s'y attendre, "le monde" a vu les choses et est désormais invité à la lucidité et à relire le texte. D'ailleurs, le motif de la lumière fait le lien entre le début et la fin du texte.

Maintenant tu sais. Qu'est-ce que tu attends ?

9 juillet 2009

Lis ça !


Je te signale en passant que j'ai opéré de subtiles mais indipensables modifications dans ce blog et que tu es en droit de les connaître. Aussi vais-je, dans un souci de transparence, te les exposer céans.

Dans les libellés, j'ai viré "Pour ceux qui aiment les jeux" qui ne me semble pas pertinent pour le moment. Je l'ai remplacé par "Choses vues", dans lequel tu auras remarqué un hommage discret mais fervent à Victor Hugo.

Le but est de raconter brièvement des petites scènes du quotidien dont je pourrais être le témoin involontaire. Bref, je me twitterise et j'espère que tu remarqueras l'effort fourni pour rester à la pointe de la modernité.

Puisque j'y suis, je te signale aussi que j'ai dorénavant un abonné à ce blog et je l'en remercie chaleureusement (je me dépêche, des fois qu'il change d'avis). Toi aussi, tu peux en faire autant et vibrer chaque jour en recevant les dernières de Clavelus. Réfléchis-y !

Image : source Wikipedia, Victor Hugo vers 1875, Comte Stanisław Julian Ostroróg dit WALERY (1830-1890)

Chose vue 4 : Roméo des bistros

A Paris, à côté de la Bibliothèque Nationale, dans l'après-midi.

C'est une rue où s'alignent les cafés, tous construits sur le même modèle de terrasse large et bien ordonnée. Un jeune serveur avec son tablier noir est arrêté, tout droit, l'oeil fixe.

En suivant son regard, on s'aperçoit qu'il observe, énamouré, à travers les séparations transparentes, la jolie serveuse du café d'à côté qui est en train d'essuyer une table. Mais elle ne le voit pas.

Ca ne dure pas longtemps, mais on peut entrevoir un instant le futur drame de ces Roméo et Juliette des bistros concurrents, le jour où son regard croisera le sien.

5 juillet 2009

Chose vue 3 : le bus accouche d'un scooter

Toujours dans le 128, à 23h44, au moment du dernier bus.

En montant dans le bus, à l'emplacement habituellement réservé aux poussettes, voire aux gros paquets pour ceux qui font les courses, il y avait un... scooter. L'engin était solidement arrimé aux barres de métal par des tendeurs multicolores. En jetant un coup d'œil, j'avais vu que j'étais le seul passager à cet instant.

D'autres gens sont arrivés après, sans que mes interrogations trouvent de réponse. Nous avons suivi le trajet normal jusqu'au terminus où d'ordinaire le chauffeur, après avoir effectué un dernier arrêt, fait demi-tour et repart à toute allure vers le bas de la colline.

Là, il a stoppé au milieu du demi-tour, s'est garé dans un coin. Il a détaché sa machine et est tranquillement rentré chez lui sur son deux-roues, le moteur ronflant dans la nuit estivale.

4 juillet 2009

Sèvres 2009


Un petit mot en passant pour te dire que je serai aux 6e Rencontres de l'imaginaire de Sèvres le 12 décembre 2009, organisées par le formidable Jean-Luc Rivera (et ne va pas croire que je complimente à la légère ; en plus j'ai rien à y gagner, je suis déjà invité, na !).

Bon, c'est pas tout de suite, mais, comme ça, tu auras le temps de te préparer.

Histoire de t'aguicher, je te remets l'affiche de l'an dernier.

3 juillet 2009

In treatment ou le réalisme mythlogique


Comme les vacances reviennent, j'ai du nouveau du temps pour regarder des séries. Je m'aperçois alors que je ne t'ai pas parlé de In treatment dont la première saison m'avait occupé quelques mois auparavant.

Je te plante le décor : Paul, un thérapeute, reçoit chaque jour de la semaine un patient : le lundi, c'est Laura qui avoue qu'elle est amoureuse de lui ; le mardi, c'est Alex, un pilote de chasse qui a bombardé des enfants par erreur ; le mercredi, c'est Sophie, une jeune gymnaste suicidaire ; le jeudi, c'est Amy et Jake qui suivent une thérapie de couple. Quant au vendredi, c'est le jour où Paul va lui-même consulter Gina qui a été jadis son mentor. Parce que, bien sûr, Paul a des problèmes dans son propre mariage.

Les choix sont assez intéressants puisque chaque épisode est diffusé le jour où la session doit avoir lieu. On ne bouge jamais ou presque du bureau de Paul. Chaque épisode relate une séance qui se déroule presque en temps réel sous nos yeux. On est en outre fixé sur le problème qui amène le patient. Fais tes comptes : on retrouve la règle des trois unités du théâtre classique : unité de lieu, de temps et d'action. Je me permets de te citer Boileau : "Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."

Il en ressort un réalisme extrêmement prégnant qui repose sur le jeu des acteurs puisqu'il ne se passe quasiment rien à l'image. Et ils sont tous absolument excellents, d'un naturel époustouflant. Le décor est tout aussi important : le bureau devient un lieu de rencontre comme les antichambres de jadis. Les livres, les maquettes de bateau, la machine à vague qui fonctionne ne permanence sont autant de symboles qui nous invitent au rêve et à l'interprétation. Les sons prennent une importance toute particulière car la porte du jardin qui grince indique l'arrivée d'un nouveau patient et donc la fin de la séance. De même, les pas au plafond renvoient à la présence de l'épouse qui se sent toujours exclue de ce cabinet. On est loin de 24, qui, à ce niveau-là est grotesque.

Mais qu'y a-t-il d'intéressant à voir alors ? C'est le deuxième aspect théâtral de la série : tout passe par la parole. On vient se raconter, détourner la conversation, refuser de parler. La plupart des autres personnages n'existent que par le discours que l'on tient sur eux : le père d'Alex, celui de Sophie, le patron d'Amy. La place à l'imagination est laissée. Et quand on en rencontre certains, on est toujours surpris parce que l'on en avait qu'une image tronquée, partielle et partiale. Finalement, ce cabinet apparaît comme un endroit hors du monde et, s'affirmant tel, il accentue encore le réalisme puisqu'il montre lui-même ses propres limites (ça va, c'est pas trop compliqué pour toi ?).

Il y a une progression dramatique qui tient en haleine. En effet, même si l'on retrouve des stéréotypes psychologiques, les patients qui en sont victimes refusent de le voir. Il faut une longue enquête pour parvenir à découvrir la vérité. Comment ne pas penser à Oedipe roi, de Sophocle ? Le personnage y enquête sur la cause de la colère des dieux et finit par découvrir qu'il en est la cause. C'est un peu comme Paul qui découvre la fatalité tragique qui s'abat sur ses patients et qui lui-même est embringué dans l'histoire. Rappelons également que cette pièce a inspiré à Freud son célèbre complexe d'Oedipe, un des fondements de la psychanalyse.

Finalement, certains patients échappent à la fatalité car la thérapie proposée par Paul porte ses fruits et les amène à une catharsis bienvenue, que le théâtre grec puis classique jugeaient indispensables. La série met à la fois en scène la catharsis de ses personnages et celle du spectateur, invité à se reconnaître dans les cas évoqués. La série et son propos sont donc mis en abyme.

Pour toutes ces raisons, on peut donc parler de réalisme mythologique, même si Michel Leiris, à qui j'emprunte la formule, ne l'emploie pas exactement dans ce sens quand il décrit La Modification de Butor. Quoique...

1 juillet 2009

Tais-toi et rame


Va voir par là, sur le site d'ActuSF, il y a une critique du numéro hors-série de Galaxies dans laquelle j'ai publié un petit texte.

C'est à l'occasion de ce travail que j'avais appris que la numérotation XLI pour 41 est médiévale et que l'antiquité latine écrivait le chiffre comme suit : XXXXI (pas super pratique).

Pour mémoire, ce chiffre est le matricule de Ben-Hur quand il rame aux galères dans le film homonyme de Wyler.

Tu vois, t'es pas venu pour rien.