14 juin 2011

Le musée de soi-même. Extrait


L'anthologie Muséums est sortie chez Malpertuis aux dernières Imaginales. Le titre parle de lui-même quant au thème.

Voici le début de ma contribution au recueil. Si tu as lu "L'enclave", tu remarqueras des similitudes. C'est normal. L'univers est le même.



Quand M. Építész pénètre dans le grand hall, il remarque qu'une foule l'attend, étonnamment silencieuse. Le monde rassemblé là tourne vers lui son œil énorme ; il est dévisagé par un peuple attentif et muet.

Les officiels commencent les discours mais les regards restent collés à l'architecte. On rappelle combien Építész a œuvré pour la configuration générale de la cité, qu'il a bâti à la fois le Palais d'Hypnos et la Forteresse, ce que ses réflexions théoriques ont apporté aux frontières, à leur dessin. Aujourd'hui, il s'agit de rendre hommage à l'artiste en lui consacrant un musée dont il a personnellement conçu les plans et supervisé la réalisation.

L'événement est exceptionnel à plus d'un titre : rarement on aura ainsi honoré un grand homme de son vivant. En outre, cette célébration est marquée par l'édification d'un bâtiment tout nouveau, véritable œuvre d'art en soi, ce « Muséum Épitész » comme on l'appelle déjà malgré la modestie légendaire de son inventeur qui a refusé qu'on le baptisât de son nom.

L'architecte écoute distraitement.

Son regard erre sur les volumes et les courbes du hall. Il lui a donné la forme d'une souche. Tout autour rayonnent des galeries, quatre en fait, une par point cardinal. Au zénith s'ouvre un puits de lumière. Mais la nuit déjà tombée en gâche l'effet. Építész aurait préféré que cette inauguration eût lieu de jour. Son bâtiment n'est pas fait pour l'obscurité. Les lumières artificielles ne suffisent pas à donner un semblant de vie à l'ensemble qui s'apparente à un vaste tombeau.

Voilà ce qu'il a construit, un mausolée, un « Építészeum ». Comment pourra-t-il continuer à bâtir encore, à imaginer les formes à venir de la cité grouillante ? Le vague à l'âme le saisit, comme à chaque fois qu'il a achevé un édifice. Cette soirée ressemble à un enterrement de première classe.

Mais déjà l'officiel a terminé. Il se tourne vers l'architecte avec ce sourire encourageant et vide. Építész s'arrache à sa mélancolie et se décide à monter sur le podium.

Image : source Wikipedia, prairie fleurie.

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